
La Trahison

Récits
27 août 2025
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393 AC
Non, il n'y a rien de naturel ici. Cette architecture n'est pas celle du Monde d'Avant. J'avais suffisamment étudié les archives du Sanctum et arpenté les musées d'Arkaster pour en avoir l'intime certitude. Elle est sans aucun doute possible la résultante d'une anomalie, d'une longue exposition au Tumulte, et non la patiente œuvre des mortels.
Je contemple les blocs de pierre noire qui se meuvent dans la pénombre des profondeurs. Je les vois s'associer, se désolidariser. Je les vois s'élever, se laisser tomber vers les tréfonds, au gré d'une chorégraphie complexe qui peut sembler aléatoire. Mais je suspecte qu'il n'en est rien. Elle est aussi géométrique que fractale. Elle suit une logique qui lui est propre, pas le seul hasard.
J'ai appris des chercheurs Axiom qu'ils possèdent tous en leur sein un cœur d'Aérolithe. C'est ce qui leur permet de faire fi de la gravité. Et ils ont mis au jour un autre phénomène, tout aussi intéressant. Les polygones semblent communiquer entre eux, s'échanger des informations, mettre en relation ce qui est stocké en eux, avant de se dissocier, et de chercher une nouvelle connexion à effectuer... L'ensemble ressemble à un gigantesque réseau, une bibliothèque labyrinthique de souvenirs, d'images vestigiales.
Plus bas, la cohorte Bravos qui me sert d'escorte est en train de prendre ses aises. Je peux déjà entendre un fifre pousser quelques notes de musique pour distraire son auditoire, quelques éclats de voix emplir l'immensité, au gré de discussions probablement un brin grivoises. Ils auront bien mérité une petite pause, le temps que je procède à mes analyses…
Je regarde un agrégat éclater et se défaire sous mes yeux, chacun de ses blocs filant vers une nouvelle destination. C'est comme si j'étais en train d'assister à la fabrication et à la dissolution de pensées... La Cité des Sages était-elle, comme le disaient certains, capable de conscience ? Autant en avoir le cœur net.
Je pose une main sur la pierre nue d'une paroi. Elle est froide au toucher, mais pas autant que ce que l'on pourrait penser. Les idées que je convoque par le Heka sont plurielles : "lisse", "régulier", "cube", "obsidienne"... Et je façonne peu à peu, au gré des Glyphes que je grave dans le roc, un bloc similaire à ceux que je sonde depuis mon arrivée en ce lieu. Sur chaque face, j'écris à travers l'Altération les hiérogrammes qui me semblent les plus adaptés à ce que je veux dénicher.
"Qu'est-ce que tu cherches, vieil homme ?"
Je me tourne vers l'effronté, et reconnais le héros d'Asgartha, le pourfendeur du Kraken. Il est en train de gratter le cou de son Alter Ego, et je ne me retiens pas de lancer une pique à Mack pour ne pas m'avoir averti de son arrivée.
Tu avais stipulé "danger". C'est pas un danger, se contente-t-il de répondre pour toute justification.
"Ne t'a-t-on jamais appris qu'il fallait respecter tes aînés ?"
Les sourcils de Kojo Oduro s'arquent en signe de surprise, puis il se met à se gratter la joue, visiblement un peu honteux.
"C'était pas péjoratif..." marmonne-t-il, un peu penaud.
"Juste factuel, c'est ça ?"
Il va pour me répondre, puis tourne sept fois sa langue dans sa bouche.
"Je teste une théorie", dis-je sobrement, sans préciser la nature de mon expérimentation.
Il se redresse, tandis que sa Chimère fait frétiller ses oreilles, et sautille de bloc en bloc pour descendre à mon niveau.
"J'avais une question à te poser."
Je fais mine de ne pas entendre, gravant les derniers idéogrammes. Puis je fais pivoter le cube que j'ai sculpté, m'assurant que toutes les idées que j'y ai incrustées sont bien celles que je souhaite appeler. Satisfait du résultat, je finis par pousser le polyèdre dans la monumentale fosse, pour qu'il aille rejoindre ceux de la Cité. Mu par mon impulsion, il prend place dans le puits et y patiente.
"Et quelle est-elle, jeune homme ?"
Il me dévisage un temps, puis détourne les yeux, un peu contrit.
"Je... C'est juste que…
— Tu te demandes si tu as ta place parmi les autres Exalts."
Il écarquille les yeux, incrédule.
"On dirait que tu lis en moi comme dans un livre ouvert..."
Je me retiens de lui dire que c'est effectivement le cas.
"Je t'ai vu te tenir devant Avkan. Quelque chose en toi, dans la façon que tu avais de saluer la foule, semblait refuser les honneurs.
— Rien t'échappe, à ce que je vois."
Je viens me tenir en face de lui, pour le forcer à me regarder droit dans les yeux.
"Cela s'appelle le syndrome de l'imposteur. On t'a célébré, et tu t'es demandé si tu méritais vraiment d'être ainsi mis sur un piédestal."
Je lui adresse un sourire.
"Sache que c'est une preuve d'humilité, et la marque de la sagesse. Tu n'as pas cédé à l'orgueil et à la suffisance. Tu peux t'en féliciter au lieu de te morfondre."
Il semble encore hésiter.
"Mais... je l'ai bien vu quand on était dans le Storhvit. Je ne suis pas un combattant, et encore moins un cérébral. Je suis juste un coureur, à la base. J'ai demandé à Atsadi de faire de moi son Écuyer, mais il a refusé. Genre catégoriquement.
— Et tu ne vas pas t'acharner ?"
Il ouvre grand les yeux suite à ma remarque.
"J'ai vu de très loin l'ascension de ta sœur. Pour autant, quelque chose m'a frappé. Elle n'a jamais baissé les bras. Elle a toujours serré les dents, et s'est toujours relevée. Je pense que c'est un trait familial. Quelque chose qui coule aussi dans ton sang. Lors de tes courses d'Altrun, tu as toujours la ligne d'arrivée en vue, n'est-ce pas ? En quoi les choses sont-elles différentes pour ce qui te tracasse présentement ?"
Il reste un instant coi, les sourcils froncés. Puis un sourire vient éclairer son visage.
"J'aimerais bien avoir ta sagesse.
— C'est quelque chose qui s'apprend, jeune Bravos."
Il se met à me regarder avec un soupçon d'opiniâtreté. Hmm. Mon petit discours semble avoir un peu trop porté ses fruits.
"Est-ce que tu m'apprendrais ? J'aimerais être sage et puissant. Comme toi, comme Atsadi."
J'aurais pu ricaner en cet instant. Pas pour me moquer de lui, mais pour m'être laissé désarmer par sa candeur. Je me retiens cependant, car c'est bien moi qui ai aiguillé la conversation jusqu'à cette issue, tout en lui conseillant d'insister. Dire à un Bravos de faire la tête de mule... Quelle idée.
C'est ce qui s'appelle se faire prendre à son propre jeu.
Je remercie Mack pour sa pertinente et futile observation.
"Nous en reparlerons une fois à la surface", finis-je par concéder, alors que le visage du jeune homme s'éclaire comme pour savourer une victoire.
"Mais avant cela..."
Je me tourne de nouveau vers mon cube factice, qui est déjà pris à partie par d'autres blocs de la Cité des Sages. Je l'ai programmé pour aller quérir et appeler toute référence à la Source du Tumulte, et il ne semble pas avoir été oisif. Je le vois se connecter à d'autres agglomérats cubistes, attirer à lui des empilements de figures polyédriques.
Le sol se met soudain à trembler sous mes pieds. Les polygones s'agitent, comme pris d'une réaction épidermique. Leur vélocité s'accroît, tout comme la vitesse de formation et de dislocation des conglomérats.
"Waouh !"
Kojo se cramponne à une anfractuosité, tandis que Booda feule. Même Mack semble pris au dépourvu.
Je crois que ton intrusion n'est pas passée inaperçue.
Quelques niveaux en dessous de nous, les Bravos se sont relevés et semblent déjà sur le pied de guerre. La pause n'aura été que de courte durée.
"Exalts !"
Je vois du coin de l'œil la Danseuse de Lames venir dans notre direction. Elle a tiré ses sabres de leur fourreau, et ils pulsent déjà d'un éclat flamboyant.
"Cette secousse ne me dit rien qui vaille. Nous devrions..."
Je lève la main de manière un tantinet impérieuse.
"Un instant, je vous prie."
L'épéiste Phénixienne serre les dents, mais ne pipe pas mot.
Dans les ténèbres insondables du Labyrinthe, tel un fétu de paille ballotté par la tempête, mon simulacre est en train d'emmagasiner pléthores d'informations. J'ai apposé un Glyphe sur l'une de ses faces : le Losange du Gestalt. Et alors qu'un nouveau frisson sismique ébranle la caverne cyclopéenne, je m'y connecte pour absorber les données qu'il a glanées.
Pêle-mêle, les informations défilent dans mon esprit, et je les imprime dans ma mémoire comme faire se peut. L'intensité des tremblements de terre s'accroît soudainement, tandis que dans les profondeurs, mon cube est percuté par d'autres blocs, encore et encore, jusqu'à ce que sa surface se fendille.
"Exalt !"
Je coupe la connexion, juste à temps pour voir mon cube éclater sous la violence des chocs répétés. Ses gravats maltraités s'abîment vers les tréfonds obscurs, tandis que le bruit de leur chute se réverbère tout autour de nous en une cacophonie sinistre.
"Je vous suis, Capitaine. Vous avez raison, mieux vaut ne pas s'attarder."
Elle me jette un regard noir, avant de se détourner. Mais ses réprimandes silencieuses n'ont que peu d'importance, en comparaison de ce que je viens d'exhumer.
Trouver la Source du Tumulte. C'était la pierre angulaire de l'Effort de Redécouverte. C'était la clé de voûte de la formation des Corps expéditionnaires. J'avais mis des années à fourrager dans les ouvrages du Sanctum, en vue de trouver une raison — impérieuse, incontestable — pour justifier leur constitution.
Je cligne des yeux, en ressentant une douleur sourde taper contre ma tempe. J'essaie de l'oublier, de la chasser de mon esprit. Il était impératif de trouver la Source, d'en identifier la localisation, et une migraine n'allait certainement pas me barrer la route.
Alors que nous cheminons prestement, je ne peux que ressentir une vague de soulagement. Je sais désormais où aller. Je touche du doigt notre premier objectif. Je me permets un sourire, en pensant à la réaction d'Avkan, et à la consécration de toute une vie, désormais à portée de main.
Alors que nous marchons dans de vastes corridors, je remarque qu'une guerrière Phénixienne, aux cheveux rouges comme la braise, est en train de me dévisager avec un air interrogateur. Je décide de l'ignorer, car je sais pertinemment que les réponses ne vont pas tarder.
"C'est à droite."
La Danseuse de Lames acquiesce et nous bifurquons.
Heureusement, les secousses ont cessé. Il ne nous reste plus qu'à collecter notre dû et nous pourrons laisser derrière nous ce lieu stérile et sépulcral. Je ne peux m'empêcher de réprimer un frisson, car pendant une fraction de seconde, par le biais du Gestalt, j'ai pu caresser de ma psyché une intelligence ou une conscience qui n'avait rien d'humain. Oui, la Cité était vivante, et nous étions dans ses boyaux.
Nos pas soulèvent mille échos étouffés, tandis que se succèdent les couloirs et les salles désertes. Dans d'autres circonstances, j'aurais aimé pouvoir les explorer davantage, pour mettre au jour les nombreux secrets de la Cité. Comment vivaient ses habitants ? Qui étaient-ils ? Qu'étaient-ils devenus ? Mais cette curiosité n'était nullement une priorité. Seule la Source du Tumulte était importante.
"Nous y sommes."
Je désigne une ouverture béante dans la roche, façonnée en losange.
"On dirait un tombeau..." murmure Kojo.
"Toute cette ville est un cimetière", renchérit la meneuse de notre petite troupe.
Elle est la première à pénétrer dans le hall dépeuplé. La lumière de sa torche peine à bannir l'obscurité qui règne en ces lieux, mais nous lui emboîtons néanmoins le pas. Les Bravos sont aux aguets, bien entendu, et les lames des Gardes Phénixiens font fondre la nuit environnante. Mais ce n'est que lorsque la Chimère du traceur pénètre dans la massive antichambre que les reliefs des murs — jusque-là dissimulés dans le noir absolu — se dévoilent.
"Boo ?"
L'Alter Ego d'Oduro s'embrase soudain suite à cette courte injonction, et sa radiance illumine l'intégralité du hall. Des fresques apparaissent désormais sur les murs inondés de lumière : là, une procession de silhouettes, dont une figure encapuchonnée, entourée de sept gens d'armes ; un peu plus loin, une ville, nichée sur une montagne comme une tour de Babel…
"Waru..."
Je me tourne vers Kojo, qui fixe la paroi opposée tout en tirant sur ma manche. Je suis son regard, et sens mes jambes mollir.
"Qu'est-ce que ça veut dire ?" bredouille-t-il.
J'essaie de faire sens de ce qui se dresse devant moi. Sculpté en bas-relief, un gigantesque phénix étire ses ailes vers le firmament. Tout comme celui de Havre, il est en train de couver un œuf cerclé de flammes, qui ressemble à s'y méprendre à l'emblème Bravos. La mâchoire crispée, je scrute les réactions du cortège. Stupeur, fascination, incrédulité, effroi, admiration... toutes ces émotions se jouent tour à tour sur les visages…
Je soulève un pan de ma tunique et je m'approche du dais, tandis que tous me suivent des yeux, encore trop choqués pour réagir ou me barrer la route. D'un pas chancelant, je monte les marches une à une, aussi cérémonieusement que possible. Derrière moi, quelqu'un tombe à genoux. Mais je ne me retourne pas. Je suis bien trop concentré sur l'œuf, qui se révèle être une petite alcôve creusée dans la roche. Et à l'intérieur…
Je plonge une main dans la cavité, et en ressors un cylindre. Je l'ouvre d'une main tremblante, prenant soin de ne pas abîmer cet antique vélin. Je déroule le parchemin, et mes yeux se mettent à parcourir ses lignes…
"Waru ?"
Mes doigts se crispent sur les bords du rouleau, alors que je sens mon ventre se nouer.
"Qu'est-ce qu'il y a ?"
Kojo monte les marches quatre à quatre, tandis que je laisse choir le cylindre sur le sol. Celui-ci roule sur l'estrade de pierre, se débobinant entièrement. Je pose une main sur le mur pour ne pas m'affaisser, essayant de calmer ma respiration. À nouveau, la migraine, bien plus forte cette fois. Kojo me lance un regard horrifié, avant de se mettre à lire à son tour.
"Je... je comprends pas. Comment ? Comment c'est possible ?"
Non. Non, je ne peux le permettre.
D'autres Bravos avancent, mais l'effarement est tel que je ne saisis pas le détail de leurs conversations. Il me faut penser. Il me faut assimiler tout cela. Mais rien n'y fait, mon esprit est paralysé, lourd comme s'il avait été lesté de chaînes…
"Qu'est-ce que ça veut dire ?"
Je me tourne vers la Danseuse de Lames, qui m'observe avec insistance. Le choc est en train de faire place à une sourde colère. Quelque chose tambourine dans mon esprit, comme une pensée qui cogne sur les barreaux d'une cage.
"Rien de tout ceci ne doit sortir de ces murs. Vous entendez ?"
Kojo lève les yeux vers moi, interloqué par mon ton, par ma soudaine véhémence.
"Mais c'est trop gros, on peut pas cacher ça !"
Il m'observe avec affolement, les mains serrées.
"Il le faudra bien. C'est l'avenir de l'Effort de Redécouverte qui est en jeu. Si un mot de ce qui s'est passé ici filtre au-dehors, c'est toute l'entreprise qui sera mise en péril !
— Ce... ce sont les mots de Rune ! Il était ici. Il est venu jusqu'ici ! Si même lui n'a pas trouvé la Source du Tumulte…
— Et quelle est l'alternative ? Avouer à tous que nous avons fait fausse route ? Que nous n'avons suivi que des chimères ?"
Il serre les dents.
"Les gens ont le droit de savoir…
— Au contraire, ils doivent continuer d'espérer."
Il secoue la tête, pris en étau entre la stupeur et la répugnance.
"Mais…
— Tu veux être celui qui va dire à tout le monde que la Source du Tumulte est une affabulation ? Sais-tu seulement quelles seront les conséquences de cette révélation ? En Asgartha, les opposants d'Avkan se feront une joie de mettre en pièces le projet. Que penses-tu que cette nouvelle causera au sein des Corps expéditionnaires ? Cela ne fera que saper le moral, enterrer l'Effort dans son ensemble. À la moindre difficulté, la première pensée qui viendra sera 'à quoi bon'. Et ce sera terminé."
Je me tourne vers l'assemblée, et fais porter ma voix pour qu'ils m'entendent tous. Je fixe attentivement les membres de la Garde Phénixienne.
"Vous rêviez d'explorer le monde, n'est-ce pas ? De marcher dans les pas de Rune ? Voulez-vous continuer de le faire, ou bien rentrer la queue entre les jambes ?
— Tu nous demandes de mentir.
— Je vous demande de garder la flamme allumée."
La Danseuse de Lames contemple longuement le phénix gravé dans la pierre. Quand elle se retourne vers nous, ses yeux luisent d'un éclat spectral.
"Nous autres, héritiers de Rune, savions pertinemment que la Source du Tumulte n'était qu'un miroir aux alouettes."
Je me tourne vers elle, médusé. Le sang pulse dans mes tempes, et à travers la brume de ma céphalée, j'ai la désagréable impression d'avoir un mot sur le bout de la langue, sans parvenir à mettre le doigt dessus.
"Rune avait prédit cet état de fait. Nous sommes les détenteurs de ses dernières consignes. Nous sommes les mandataires de son Testament."
Soudain, sa peau s'illumine, et des tracés complexes apparaissent sur ses bras, comme s'ils avaient été dorés à la feuille. Et ces dessins ressemblent à s'y méprendre à l'écriture archaïque qui se retrouve partout au sein de la Cité des Sages.
"L'objectif de l'Effort de Redécouverte n'a jamais été la Source du Tumulte. D'autres Bravos se sont joints au Clan Tisdhera, à bord du Wayfarer. En secret, ils ont amené avec eux l'Œuf du Phénix. L'Oiseau de Feu doit être ravivé. Il doit être régénéré. C'est le seul moyen de faire renaître le monde de ses cendres. Ainsi a-t-il parlé, à l'aube du nouvel âge. Telle est la mission qui nous a été confiée."
Je cligne des yeux, atterré. C'est comme si j'avais été soudain frappé par la foudre. Mais les mots de la Danseuse sont comme une perche tendue. Si je veux me hisser hors des sables mouvants dans lesquels je me suis enlisé, je dois la saisir. D'ailleurs, ne dit-on pas qu'à chaque porte qui se ferme, une fenêtre s'entrouvre ?
"Et que dit donc ce Testament ?
— Qu'il nous faut faire voile vers le couchant. C'est là-bas que nous trouverons son nid."
Kojo secoue la tête, visiblement mortifié.
"Alors on va vraiment mentir à tout le monde ?" dit-il, clairement mal à l'aise.
Je réfléchis à toute allure, observant sous toutes les coutures la nouvelle équation qui se dessine dans mon esprit. Il s'agissait là non pas de travestir la vérité, mais d'en substituer une autre... Il nous suffisait de dire que la Source du Tumulte se trouvait dans la même direction, que l'Œuf en était la clé... C'était au final une bien petite entorse. D'ailleurs, était-ce seulement une trahison, si l'objectif était le bien commun ?
Je me tourne vers Kojo et me permets de lui sourire.
"Tu voulais savoir comment se conduit le sage, n'est-ce pas ? dis-je à Kojo d'un air grave. Agir en sage, c'est faire preuve d'un jugement averti, et assumer la responsabilité de ses actions."