Assaut

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  • 6 novembre 2025

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393 AC

Quadrant Pélagonien

Elle serre les dents et force de tout son poids sur la barre à mine. La grille de sécurité du puits d'accès gémit en retour, avant que les vérins hydrauliques ne cèdent enfin. Las de résister, le sas s'ouvre avec un grincement plaintif. Où qu'on soit, tous les ascenseurs font les mêmes bruits sinistres, pense-t-elle tout en essuyant son front couvert de poussière et de sueur. Ceux de Hadera faisaient aussi ces bruits, et celui-ci ne faisait pas exception à la règle. Celle du métal, du temps, et de la rouille ; la loi universelle de l'entropie.

Isaree se faufile avec circonspection à l'intérieur de la cheminée, puis elle lève la tête vers la source de lumière, tout là-haut, clignant des yeux quand des gouttes viennent tomber sur son visage depuis les hauteurs. Au moins, elle a trouvé une sortie potentielle…

Elle fouille dans sa gibecière et en sort un cristal d'Aérolithe, soigneusement enveloppé dans un linge humide. Elle l'ausculte dans la pénombre, profitant des faibles rayons de lumière pour mieux étudier son degré de pureté. Elle sort un Fleuron de sa poche et tapote avec la surface du minerai, juste assez pour provoquer une réaction, mais pas de celles qui sont explosives. La plupart du temps, c'est lorsque deux fragments entrent en résonance que cela peut dégénérer... La pierre rougeâtre, couleur grenadine, se met à vibrer, à pulser, tandis que se propagent dans son cœur des vaguelettes d'énergie concentriques de teinte orangée. Elle ne peut réprimer un petit sourire satisfait. Pas de doute, c'est une veine qui vaut d'être prospectée.

Elle fourre de nouveau l'éclat dans son sac, tandis que les plic-ploc emplissent la cavité de langoureux échos, avant de regarder autour d'elle.

Elle s'intéresse ensuite à la plate-forme élévatrice, recouverte de gravats dus à l'érosion. Clic, clic. Elle relève et abaisse le bouton de commande — enfin, ce qu'elle identifie comme tel —, mais sans que cela ne déclenche quoi que ce soit. Si la technologie est indubitablement de facture humaine, elle est totalement différente de celle à laquelle elle est habituée. Et de ce qu'elle voit, la différence de niveau est flagrante…

Cela faisait quelques heures maintenant qu'elle explorait les souterrains abandonnés. C'était sans nul doute une ancienne mine d'Aérolithe, mais certaines de ses installations étaient si perfectionnées qu'elle ne pouvait qu'en deviner l'usage. Elle avait trouvé des foreuses, des extracteurs, et bien d'autres outils, ainsi que des bonbonnes de Sève vides. Contrairement à celles trouvées dans la Cité des Sages, celles-ci étaient prévues pour contenir de la vapeur de Sève, probablement pour rationner son usage.

Aller, haut ?

Elle se tourne vers le bibendum géant qui patiente un peu plus loin, et soupire. Depuis leur Musubi, il était toujours là, dans un coin de son esprit, comme une arrière-pensée. Elle savait qu'il faisait son possible pour ne pas être intrusif, mais c'était encore pire de l'avoir à la lisière, comme un enfant qui plongeait le gros orteil dans l'eau pour savoir si elle était froide.

"On dit 'monter'."

Monter, répète la Chimère.

Elle l'avait nommée Pebble, de manière un peu ironique. Un "galet" qui avait la taille d'un petit éléphant. Elle se mordille l'intérieur de la bouche, indécise. On lui avait fait miroiter un Alter Ego, le fait qu'ensemble, ils pourraient atteindre de nouveaux sommets d'Altération. Mais sa timidité presque maladive était parfois un boulet plus qu'un marchepied.

Le golem d'Aérolithe tend ses bras dodus, mimant le fait de porter quelque chose. Levant les yeux au ciel, elle consent à ce qu'il l'aide. Autant profiter de sa composition intrinsèque pour s'éviter des menus déboires... Le mastodonte saisit les panneaux métalliques de l'élévateur et les tord comme s'ils étaient faits d'aluminium, presque délicatement. Puis il se glisse à l'intérieur du puits avec une précaution toute gauche.

Isaree recule de quelques pas pour ne pas se faire malencontreusement écraser contre la paroi. Puis elle se hisse sur la rambarde, et escalade ses avant-bras tout en rondeur avant de se lover dans son étreinte. Comme une princesse dans les bras de son bras charmant, pense-t-elle. Et quel prince charmant…

Mon-ter ? répète son géant sur pattes.

Elle acquiesce. Il n'en faut pas plus pour que le colosse s'élève tout à coup, tout son être chantonnant d'une vibration sourde. Elle se cramponne un peu plus, mais l'ascension est douce, presque sereine. Et cela ne lui déplaît pas. Elle se laisse emporter par le géant de pierre, qui la soulève avec une délicatesse étonnante vu sa carrure. Les parois défilent alors qu'ils grimpent à vue d'œil, vers…

Une violente secousse déloge soudain des pierres en surplomb, alors qu'Isaree écarquille les yeux. Elles cascadent depuis le haut du puits, rebondissant sur les parois. Elle ferme les yeux, se recroquevillant pour abriter sa tête. Pebble lève un bras pour former un bouclier, empêchant le plus gros de l'éboulement de percuter son corps, mais elle sent quelques cailloux heurter ses jambes, ses épaules, ainsi que des graviers et de la poussière. Elle tousse, et cligne des yeux pour chasser les fines particules qui se sont glissées sous ses paupières. Au moins, à part quelques bleus, il ne semble pas y avoir de casse.

Dès qu'elle est à proximité, elle se hisse sur la corniche alors qu'un nouveau séisme ébranle la mine. Non, pas un simple séisme. Une explosion... Une fumée sèche obscurcit l'air, et dérive en nappe dans le boyau. Talonnée par Pebble, qui flotte à quelques centimètres du sol, elle court en direction de l'ouverture du corridor…

Une odeur de brûlé. Des cris affolés. Un grincement menaçant.

Elle lève les yeux tandis qu'ils peinent à s'habituer à la lumière du jour, pour voir la silhouette sombre d'une grue de chantier chuter vers elle. L'installation se disloque, des pylônes se tordent, des poutrelles métalliques se rompent.

Elle a à peine le temps d'avoir peur.

Un bras mécanique la percute et l'envoie bouler plus loin. Tandis qu'elle serre les dents, elle voit un enfant dans un cockpit, celui d'un robot au fuselage blanc. Gavroche ? Non, quelqu'un d'autre. Des tentacules robotiques ont saisi l'armature de la grue, juste assez longtemps pour qu'elle... Le reste de la charpente métallique s'effondre sur le robot impuissant, l'emportant dans un terrible fracas.

L'horreur succède à la sidération.

Elle crache la poussière ocre qui a trouvé son chemin jusque dans sa bouche, s'essuie en hâte. Au-dessus de sa tête, une ombre fait disparaître la lueur de l'azur. Elle se remet debout, chancelle quand une nouvelle déflagration fait chavirer l'îlot. Il faut qu'ils quittent ce maudit canyon, mais par où aller ?

Elle se dirige vers le Techlab, et arrive sur un surplomb. À travers les nappes de poussière, elle voit le laboratoire mobile entièrement éventré. Des scientifiques sont en train de fuir... Non, pas par là. Elle est paralysée par la terreur, et en même temps, en train de cogiter comme jamais. Une nacelle d'évacuation ? Non, trop loin. Elle n'y arrivera jamais.

Une nouvelle ombre passe au-dessus des crêtes rocheuses, comme une aile. Ou une nageoire cyclopéenne ? Elle est accompagnée d'une complainte, comme celle d'une baleine... Cela pourrait presque être poétique. Et puis Isaree la voit percuter un avion de reconnaissance, qui se brise en plein vol, avant d'aller s'écraser plus loin.

Non... Non, c'est pas vrai !

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Avec la réalisation, un nœud se forme dans son ventre, et elle réprime une envie de vomir. C'est un Léviathan. Une attaque de Léviathan, comme celles que racontait Jethro quand il essayait de lui faire peur, quand ils jouaient seuls, dans les mines d'Enosha.

Elle chemine sans s'attarder le long de galeries souterraines, une dense pellicule de poussière grise recouvrant ses cheveux. Un séisme la fait percuter un mur, et l'envoie se fracasser contre la paroi opposée, comme si elle n'était qu'une simple boule de flipper. Serrant les dents, elle se met à gravir quatre à quatre un escalier. Vers la surface. Vers un lieu où elle ne se ferait pas écraser…

Elle arrive enfin au sommet de l'édifice rocheux, là où elle pourra peut-être capter l'attention d'une barge d'évacuation ou d'un airship quelconque. Elle émerge sur le haut-plateau, prête à faire des signes au premier appareil…

Elle se fige, bouche-bée.

Autour d'elle, toute la carrière est en feu. Par intermittence, des colonnes de fumée noire s'élèvent vers le ciel, là où étaient stationnées les bases Axiom et Bravos. Elle entend vaguement le vacarme des sirènes, quand le vent les charrie dans sa direction.

Dans le ciel, le VEA Sune est en approche, et à la vue du croiseur, elle ne peut empêcher l'espoir de naître de nouveau.

"Sau-vés ?" pépie Pebble à côté d'elle.

"Oui, si on arrive jusque..."

Elle n'a pas le temps de finir sa phrase.

Elle voit une ombre gigantesque jaillir du couvert des nuages, éventrant leur surface comme un éléphant sort de la brume. C'est une raie Manta, au vol presque gracieux. Mais sa taille la rend tout sauf lyrique. Ses yeux sont rouges comme la colère et la destruction, animés d'un feu qui semble inextinguible. Son envergure doit dépasser le kilomètre, et sa vitesse est fulgurante, telle celle d'un oiseau de proie.

Elle fonce tout droit vers le vaisseau d'exploration, qui ne semble être qu'un vulgaire jouet face à l'échelle titanesque du Léviathan. Isaree, par réflexe et désespoir, cherche à crier, à avertir le navire de l'attaque imminente. Mais sa voix se perd en un gargouillis inintelligible, quand elle comprend que son geste est vain.

La nageoire du monstre se lève, comme une cape de nuit.

Avant de s'abattre.