Isaree & Pebble

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  • Lore

  • 11 septembre 2025

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Une volonté de fer ? Au moins une volonté de pierre... Voilà jusqu'où va le tempérament d'Isaree. Lorsqu'elle a quelque chose d'ancré en elle, rien ne peut la faire changer. Des idées à ses amitiés, elle ne transige sur rien. Et ce n'est pas parce qu'elle vient des classes les plus aisées de Hadera qu'elle ne peut pas être sensible aux problèmes des gens du commun. Il faut dire que son père, Rama Thongsuk, un scientifique rêveur, géologue aussi passionné par les minéraux que par la défense des droits des plus faibles, lui a inculqué dès le plus jeune âge le respect des valeurs humanistes. À travers la science et la raison, il lui apportait un éclairage teinté de bienveillance et de compassion sur les problématiques sociales asgarthies. Il ponctuait ses explications de poèmes et de citations pour graver en Isaree les principes directeurs de sa philosophie. Et Isaree buvait ses paroles. Elle adorait ces moments de partage et de débats, qui se tenaient souvent après les cours, dans le petit salon de thé situé à côté de son école. Les napperons brodés se couvraient alors autant de miettes de pâtisseries que de livres de philosophie.

Ces principes, son père savait aussi les démontrer et les mettre en pratique lorsqu'il descendait dans les mines d'Enosha, officiellement pour y faire des prélèvements d'échantillons d'Aérolithe. Humble et besogneux, il se glissait dans la foule des équipes de prospecteurs sans faire de vague. Et ceux-ci appréciaient cette attitude teintée d'humilité. Il amenait parfois sa fille jusqu'à la grille où se massaient les mineurs prenant leur poste, et dans les gargotes attenantes où ils aimaient bien se retrouver après le travail. Là, avec Isaree sur ses genoux, Rama les aidait à rédiger des courriers ou à solutionner des problématiques administratives. La petite fille finit par être connue du personnel : du foreur au conducteur d'engin, en passant par l'ingénieur. C'était "la gamine du prof". Tout le monde lui parlait et la chouchoutait en conséquence. Intéressée par tout ce qui touchait à la mine, elle se faisait expliquer tout ce qui concernait son activité. La mine était devenue pour elle comme une famille d'adoption. Elle passait d'ailleurs son temps libre avec les enfants des mineurs, participant à leurs jeux et à leurs fêtes, bien plus amusants que ceux des bourgeois.

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Avec sa mère, Meredith, c'était une tout autre histoire. Leurs échanges étaient rares... et souvent conflictuels. Meredith était une femme d'affaires féroce, toujours occupée à gérer ses différentes activités : armatrice affiliée à la Guilde des Carriers, elle passait son temps à voyager à travers Asgartha pour conclure des accords commerciaux, ouvrir des lignes de transit aériens... De fait, elle était peu présente pour Isaree. La jeune fille s'était toujours demandé ce qui avait pu rassembler deux personnes aussi opposées que son père et sa mère. Cette dernière voyait d'ailleurs d'un très mauvais œil les fréquentations ouvrières de sa fille. Et leurs rapports déjà difficiles connurent un tournant encore plus ombrageux lorsque qu'éclata un conflit social majeur, dont les répercussions touchèrent toute la péninsule.

C'est en 384 AC, alors qu'Isaree atteignait ses dix-huit ans, qu'éclatèrent les grèves d'Enosha. Tout commença par un accident au fond de la mine. Un boyau, contenant un gaz accumulé à cause d'une déficience du système de ventilation, explosa soudainement et s'écroula sur une vingtaine de mineurs, isolés par l'éboulement. Un incendie se propagea à travers toutes les galeries. Le système coupe-feu ne fonctionna pas, causant de multiples blessés, gravement brûlés. Les secours s'organisèrent néanmoins : Rama se porta volontaire dès les premières heures pour aller soutenir les sauveteurs, tandis qu'Isaree participa à l'organisation d'un hôpital de campagne, courant partout pour récolter de la gaze, des bandes, du désinfectant... Les victimes de l'accident se comptaient par dizaines, tandis qu'on tentait de mettre sur pied une expédition de secours pour porter assistance aux mineurs disparus dans l'éboulement. La vétusté des installations rendait les travaux de dégagement très lents. Trop lents. Il fallut trois jours pour atteindre enfin le boyau effondré... et trouver les cadavres des vingt mineurs prisonniers, morts asphyxiés quelques heures auparavant. À peine les dépouilles fussent-elles remontées que les mineurs, fous de la douleur causée par la perte des leurs, réclamèrent une commission d'enquête pour éclaircir les circonstances de ce drame. Et ils ne se privèrent pas de pointer du doigt les économies réalisées sur les infrastructures de sécurité. La direction de la mine ne l'entendit pas de cette oreille, rejetant la faute de ce drame sur une erreur humaine. Un bras de fer commença pour les ouvriers de la mine, désormais en grève.

Isaree prit fait et cause pour les ouvriers. Elle rejoignit le comité de mineurs et fit le planton avec le piquet de grève, occupant pacifiquement l'accès aux galeries. Elle semblait un peu insolite, jeune femme élégamment habillée au milieu des hommes en tenue de mine couverte de poussière et de boue. Mais ils furent très vite mis dehors manu militari par le service de sécurité de la mine ; de gros bras violents qui n'étaient là que pour mater la rébellion. Grâce à sa tenue, elle évita les coups, mais fut poussée sans ménagement vers la sortie. Parmi les actionnaires, Meredith était sans doute la plus virulente à réclamer l'expulsion des manifestants : l'arrêt de la production d'Aérolithe mettait en péril la construction de sa nouvelle flotte d'aéronefs. Lors d'un dîner orageux, elle donna l'ordre à sa fille de ne plus participer à cette grève et menaça même de la déshériter. Isaree refusa et partit de la maison familiale en claquant la porte, malgré les tentatives de médiation de son père.

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Accueillie à bras ouverts par les grévistes, elle s'installa dans le local appartenant à la corporation des mineurs, aux premières loges de leurs délibérations. Elle passait ses journées à discuter avec eux, à proposer des actions, à mobiliser des gens... Et la nuit, elle écrivait des pamphlets, concoctait des plans d'actions, bricolait des banderoles. Elle était infatigable, tout investie dans ce combat. Elle troqua ses beaux habits pour un bleu de travail et une casquette d'ouvrier. Elle s'activa avec une fièvre passionnée qui suscita l'admiration des mineurs. Ceux-ci ne savaient pas trop quelle posture prendre :négocier ou aller au conflit ? Isaree proposa son aide pour aller parlementer en leur nom. Ne connaissait-elle pas tous les actionnaires, leurs histoires et leurs petits travers, si souvent moqués par sa mère ? Le comité de grève lui accorda le statut de déléguée.

Elle partit à la réunion avec dans sa sacoche une liste de points à négocier. Elle avait confiance, était sûre de son combat. Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec sa mère, fraîchement élue présidente du conseil. D'un regard, mère et fille s'affrontèrent d'un bout à l'autre de la table de négociation. Après plusieurs jours de discussion avec la direction, qui se soldèrent par une fin de non-recevoir, les grévistes n'eurent d'autre choix que de prendre possession de la mine par la force. Isaree faisait partie de l'expédition, mettant ses connaissances scientifiques et techniques au service de la cause pour donner les moyens aux mineurs de prendre le contrôle des différents outils de production. Elle rédigeait des tracts où elle appelait à la désobéissance civile, leur apprenait à renforcer les défenses, à maîtriser les commandes de l'usine. Elle était aidée en sous-main par son père, qui lui apportait conseils et panier-repas à l'insu de sa femme.

Pendant plusieurs jours, la mine se para de banderoles réclamant justice et sécurité, des tracts et des affiches envahissaient les rues, des chants de soutien aux mineurs résonnaient dans toutes les maisons. La ville de Hadera était avec eux. Mais les réjouissances furent de courte durée. Les actionnaires passèrent à la manière forte, recrutant des services de sécurité privés, dont les rangs comptaient des mercenaires à la morale élastique. Ils mirent le paquet. Le bruit saccadé des bottes emplit les rues principales. Les manifestants tentèrent de faire bloc pour empêcher de se faire évincer. Les deux camps se firent face devant l'entrée de la mine, transformée en camp retranché. Pour Isaree, c'était la provocation de trop, la déclaration de guerre. Face à cette troupe disparate de brutes, elle prit son porte-voix et exhorta les mineurs à défendre leur gagne-pain coûte que coûte, en utilisant la violence s'il le fallait. Un cri de ralliement sauvage parcourut les rangs des grévistes. C'était le signal qui déclencha la bagarre.

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Des Eidolons se joignirent aux manifestants. Parmi eux, Gavroche s'affairait à porter les messages aux différents points de résistance. Mais les casseurs de grève chargèrent... Des heurts eurent lieu à différents endroits : le portail d'entrée, les ateliers de préparation, les quais d'expédition. On se battait dans chaque bâtiment, chaque couloir. Mais la pression des miliciens était trop forte. Les mineurs tombaient sous les coups. Un à un, les bastions de résistance cédèrent. Isaree fut passée à tabac alors qu'elle tentait de fermer l'accès aux galeries. Récupérée in extremis par une poignée de mineurs jusqu'au-boutiste, elle fut évacuée dans une taverne proche, transformée en infirmerie de fortune. Elle fut horrifiée par toute cette désolation, par les conséquences des violences qu'elle avait contribué à causer. Les milices s'étaient adonnées à d'horribles représailles, incendiant les maisons des leaders de la contestation. C'était elle qui avait persuadé les grévistes de prendre les armes. Et cette dévastation était de son fait.

L'Aegis finit par intervenir pour faire cesser les émeutes, mais le bilan était déjà très lourd : des centaines de blessés, la mine saccagée et hors de service pour des semaines... Pour Isaree, c'était l'heure de faire les comptes. Elle ne pouvait pas rester. Elle avait perdu le combat et le soutien de sa mère. Son entêtement avait causé plus de mal que de bien. À vouloir défendre ses idées, ses valeurs, elle avait oublié qu'elles étaient d'abord au service des hommes. C'était son propre aveuglement qui avait abouti à cet horrible gâchis. Soignée par son père, elle se laissa convaincre de partir, autant pour se mettre en sécurité qu'en raison de son propre sentiment de culpabilité. Elle avait honte d'elle, et d'avoir causé toute cette souffrance.

Elle s'enfuit discrètement, en tant que passager clandestin sur un aéronef de la flotte familiale. Honteuse d'abandonner le combat, de devoir fuir de chez elle, elle se recroquevilla dans un coin de la soute, la mâchoire serrée, la casquette enfoncée jusqu'aux oreilles pour masquer ses larmes. La rage... La frustration... Elle gagna Arkaster, où elle trouva refuge à la Fonderie. Sans le sou, elle finit par accepter de travailler dans l'atelier d'un orfèvre, Maître Basem Falani, un ami de son père avec qui ce dernier avait fait ses études. Falani prit Isaree sous son aile en tant qu'apprentie, et entreprit de la distraire en lui mettant des outils entre les mains. Très vite, la jeune femme se sentit à l'aise dans ce métier, manipulant chaque pierre avec un enthousiasme atavique. Son Maître lui suggéra de développer son don pour l'Altération afin d'améliorer ses pièces d'orfèvrerie, et elle suivit sa recommandation avec zèle, heureuse de ne plus avoir à penser à autre chose qu'à polir des pierres.

Travailler le métal et les minéraux lui apportait une vraie satisfaction qui compensait un peu la peine de la séparation avec son père et ses amis. Elle garda d'ailleurs des contacts avec Rama, par l'intermédiaire de l'ancien Maître de la Guilde des Lapidaires. La minéralogie la passionnait, sans doute parce qu'elle lui procurait un lien avec son passé. Ses créations d'orfèvre lui rapportait un joli pécule, qu'elle envoyait religieusement aux familles des mineurs restés au pays. En parallèle, elle passa ses diplômes en géologie, puis se spécialisa dans la manipulation de l'Aérolithe, comme son père avant elle. À côté de son travail et de ses études, Isaree s'engagea dans le militantisme, défendant les droits sociaux des plus faibles et des plus maltraités. Elle gardait en tête ses idéaux de progrès et de justice, mais se targuait bien de ne pas passer à l'action.

C'était compter sans la rancune de sa mère. Dès qu'elle souhaitait se lancer dans un projet d'envergure, les financements étaient annulés, les portes précédemment ouvertes se fermaient comme par magie. Elle en vint à comprendre que sa génitrice, par ses contacts et son réseau d'influence, sabotait ses efforts, faisant planer son ombre sur tout ce qu'elle entreprenait. Mais même si une colère froide l'habitait, Isaree était lasse, et encore traumatisée par ce qu'elle avait causé. Elle portait encore en elle le poids et les stigmates de sa propre culpabilité. C'est pourquoi, la mort dans l'âme, elle se résolut à poser sa candidature au sein des Corps expéditionnaires. L'objectif était clair : mettre le plus de distance possible entre elle et sa mère, pour sortir de son influence, et peut-être avoir une chance d'échapper à ses fautes.

Elle œuvra tout d'abord comme agent de maintenance du cœur d'Aérolithe de l'Ouroboros. Et quelque part, cela lui plaisait de recommencer tout en bas de l'échelle. Mais lorsque les Corps expéditionnaires découvrirent de nouveaux gisements de pierre flottante, elle fut nommée pour s'occuper de l'organisation des préparatifs de minage, sans savoir que cela allait bousculer sa destinée. C'est au cours d'une mission de prospection qu'elle inspecta une veine de minerai, pour s'assurer qu'elle ne présente pas de danger pour les mineurs. Après avoir procédé à plusieurs analyses préliminaires — pureté et profondeur du filon, stabilité géologique... —, elle entendit soudain derrière elle comme le bruit sourd d'un éboulement.

Mais ce n'était pas les prémisses d'un effondrement. Quand elle se retourna, elle vit la paroi être agitée de tremblements. Membre après membre, une silhouette humanoïde, haute de près de trois mètres, s'extirpa de la cloison rocheuse. Les Yzmir auraient dit que c'était un golem, les Ordis une gargouille, peut-être... Isaree fit quelques pas en arrière, tandis que le colosse s'étirait de tout son long. Deux yeux, ronds comme des billes, la fixaient, elle et les gemmes rougeoyantes qu'elle tenait en main. Elle était incapable de deviner, dans ces orbites roses, ce que ce regard exprimait. Agression ? Curiosité ? Indifférence ? Des veines d'Aérolithe couraient sur son épiderme fait de pierre. Tout à coup, alors qu'Isaree faisait lentement machine arrière vers l'entrée de la cavité, la créature posa la main sur la paroi rocheuse. Et immédiatement, à la plus grande stupeur de la lapidaire, des cristaux d'Aérolithe sortirent des murs...