Poignantes Retrouvailles

393 AC - Je le serre fort contre moi, frottant mes joues mouillées et mon nez plein de morve sur son veston. Mais il n'en a que faire. Ses bras m'enserrent, et ne semblent pas vouloir me lâcher. Je sens le feu de l'Ignescence bouillir au fond de moi, et mon être déborder d'émotions, au point où elles se confondent, se substituent, bataillent pour s'exprimer. Sanglots, rires, étourdissement... Les souvenirs remontent comme des bulles, soudains, incontrôlables, confus, embrouillés : le jour de l'ouverture des portes, où nous nous étions dits au revoir en luttant pour ne pas verser de larmes ; quand il me tenait la main, tandis que je serrais les dents avec l'envie d'en finir, et qu'il était le seul à me maintenir la tête hors de l'eau ; quand il était passé dans mon atelier, fier de ce que j'avais accompli au sein de l'Axiom, même si de son propre aveu, il ne comprenait pas toute l'étendue de ma fascination...

Le bip bip un brin jaloux d'Oddball me ramène au présent, et je l'attrape pour qu'il puisse partager notre étreinte. Puis, tout en séchant mes larmes, je regarde le visage de mon père, mon visage béat se reflétant sur le verre de ses lunettes. Et derrière ses binocles, je distingue aussi un peu d'humidité à la lisière de ses yeux. Les questions se bousculent dans ma tête. Que faisait-il là, à bord du Wayfarer ? Était-il venu spécialement pour moi ? Allait-il rester ? Pourquoi ne m'avait-il pas prévenue ? Mais je les laisse défiler, incapable de les formuler, de toute façon. Je me contente de le regarder, avec en arrière-fond la crainte que ce ne soit qu'un rêve. Mais non, il est bien là, en chair et en os. Je n'ai pas besoin de me pincer. Mes yeux se fixent sur de petits détails : les boucles de sa moustache, ses mèches blanches peut-être un peu plus fournies... Même si ça ne fait que dix mois, j'ai l'impression que ça fait des années que je ne l'ai pas vu. Et je me rends compte à quel point il m'a manqué...

SIERRA