Lame de Fond

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  • Lore

  • 2 mai 2025

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Née en 277 AC sous le règne d'Assura ruun-Caellach, Aroro Niski manifesta d'exceptionnelles capacités d'Altération dès le plus jeune âge, tout comme sa grande sœur avant elle et son jeune frère quelques années plus tard. Si l'aînée de la famille, Nanha, voua ses talents à l'architecture, et le benjamin, Edire, se donna corps et âme au domaine scientifique, Aroro, quant à elle, rejoignit les Yzmir pour explorer les rouages secrets du monde ainsi que de l'Éther.

Ses prédispositions naturelles l'aiguillèrent en premier lieu vers la Cinémancie : d'un claquement de doigts, elle faisait naître l'étincelle ; d'un mouvement de poignet, elle provoquait la tornade. Comme ses pairs, elle manipulait les éléments et les forces primordiales de la Création à travers des gestuelles codifiées et des mouvements à la précision chirurgicale. Cependant, la virtuosité avec laquelle elle faisait danser l'Éther était sans égale, au point que certains la voyaient promise à un brillant avenir au sein de la Faction, peut-être même à une position où elle pourrait prétendre au poste de Magister de la Sphère de Cinémancie.

Mais son tempérament curieux et flâneur en décida autrement. Elle papillonna ainsi d'école en école, toujours à l'affût de nouvelles choses à apprendre et à découvrir. Quand ses condisciples rejoignirent activement les hauts échelons de la Faction au gré des ans, elle préféra se dédier à l'apprentissage des autres Sphères de magie, éternelle étudiante du Kadigir. Tour à tour, elle étudia la Géphyromancie, l'Horomancie, l'Eidomancie... jusqu'à parfaitement maîtriser les Cinq Sphères du Naali.

Ce que certains considéraient alors avec moquerie comme de la boulimie intellectuelle ou une tendance à ne jamais vouloir prendre de réelles responsabilités lui offrit en réalité une vision sans pareille de la magie. Là où certains voyaient des impasses, elle entrevoyait mille chemins. En dressant des synergies entre les différentes Sphères, elle parvenait à magnifier chaque Discipline, leur permettant d'exprimer toute leur puissance, toutes leurs possibilités, en les combinant habilement entre elles.

Pour Aroro, diviser les arts mystiques en cinq branches n'avait aucun sens. C'est seulement en les étudiant toutes de façon concertée que la vérité primordiale du monde avait une chance d'être trouvée. Il est difficile de savoir comment elle aurait changé les choses au sein de la Faction s'il lui avait été permis d'explorer plus avant les mystères de l'Éther. Peut-être aurait-elle fondé sa propre école, ou une toute autre Discipline ?

En 305 AC, à seulement 28 ans, elle fut la première à repérer un trouble dans les flux d'Éther : au départ une simple brise qu'elle identifia comme le précurseur d'un ouragan sans commune mesure avec ce qu'Asgartha avait enduré depuis sa fondation. Elle essaya d'avertir ses pairs, qui tentèrent en retour de la rassurer : l'archipel avait été préservé du Tumulte depuis des siècles, il était impensable qu'une telle calamité puisse les affecter de la sorte dans une zone aussi stabilisée...

Devant l'incrédulité des Magisters, elle sollicita une audience avec le Basileus Iztamna ruun-Heeren. Elle patienta de longues heures dans les couloirs de l'Astérion, attendant une entrevue qui jamais ne vint. Elle essaya de convaincre les Sentinelles de l'Aegis de l'urgence de la situation, les implorant de la laisser passer... On raconte que c'est à cet instant qu'elle rebroussa chemin, son visage peint d'effroi. Peut-être avait-elle vu luire l'horizon derrière les vitres du Palais de Caer Eidos ? Peut-être en était-elle venue à réaliser que le temps allait lui manquer ?

Lorsque le Tsunami déferla, elle se tenait déjà sur les remparts extérieurs de la ville, à l'extrémité sud-ouest de la capitale. Durant de longues heures, elle avait tracé des Sceaux sur les murailles, ses yeux allumés d'un éclat brillant alors que ses Iris scrutaient l'horizon. Elle avait disposé de nombreuses Effigies autour d'elle, prêtes à être invoquées à la dernière minute, tandis que sa voix appelait l'Éther, qui se massait en volutes tourbillonnantes de l'autre côté du Voile. Il lui avait fallu œuvrer rapidement, et la sueur coulait à grosses gouttes sur son front et ses tempes.

Quand la vague d'eau et d'Éther s'écrasa sur les contreforts de Vagheria, elle transmua les crêtes rocheuses avant de dévaler les parois montagneuses pour se déverser sur la Muir Concordia. Autour d'elle, les cris et les exclamations résonnèrent tandis que la population se mettait à fuir, à se ruer vers de quelconques refuges ou abris. Elle entama alors série sur série de Signes ; ses doigts, ses mains, son corps entier multipliant les postures, les formes... Sa propre voix tonnait, crépitait comme l'éclair dans un ciel dégagé.

Aroro vit la mer se gonfler et se gondoler, se couvrant tour à tour de végétation, de cristal, de fourrure dans un déferlement cacophonique d'idées. Cette houle, féroce et affamée, charriait mille concepts enchevêtrés, qui se superposaient, se remplaçaient, s'entremêlaient, se chassaient les uns les autres dans un cycle continu de création et de destruction. Les torrents d'idées roulaient vers eux en bouleversant le paysage et la topographie avec un courroux que les Asgarthi n'avaient pas connu depuis l'érection de la Première Cité. L'écume teintée d'Éther se dirigeait inexorablement vers eux, glissant comme une lame de fond, comme un squale carnassier venu dans le but de les dévorer.

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Alors que la déferlante fondait sur elle, Aroro se dressa seule face au Tumulte, puisant dans ses ultimes forces pour ralentir les vagues bouillonnantes. Elle appela les Eidolons avec vigueur, faisant éclater les Effigies par la seule force de sa volonté. Ikenga, Caellach, Ganesh, Sakarabru, Achille, Merlin, Hécate, Heshkari, Niavhe, Bastet, Amahle... En tout seize Eidolons répondirent à son appel pour lui prêter main-forte. Ils donnèrent de la puissance à sa voix, lui insufflèrent la force d'exécuter toujours plus de katas effrénés, rassemblèrent leur énergie pour nourrir celle de l'Altératrice...

Le Tsunami se fracassa sur elle avec une fureur abasourdissante. Les Sceaux dont elle s'était bardée se brisèrent un à un, balayés en une fraction de seconde. Sa voix fut ensevelie et réduite au silence sous la force grondante de la déferlante. Les Eidolons qui l'entouraient furent emportés les uns après les autres, foudroyés par la morsure déchirante de la gigantesque vague... Meurtrie, sur le point d'être pulvérisée à son tour, Aroro projeta toute son énergie, tout le Mana qu'elle avait amassé, en une contre-attaque aussi fulgurante que tempétueuse.

Elle tint bon durant de longues minutes, enchaînant les postures à un rythme effréné. La vague qui s'était abattue sur elle se brisa un temps sur le bouclier qu'elle avait conjuré. Un temps seulement, car sa silhouette finit par disparaître à son tour dans les flots impétueux.

Mais ce précieux laps de temps permit à d'autres Altérateurs de se mobiliser et de s'organiser. Chacun d'entre eux se chargea de protéger une petite parcelle de la cité, créant des poches de stabilité autour desquelles les rouleaux d'Éther vinrent s'échouer.

Si les Districts lacustres tout comme une grande partie de l'Astérion furent ravagés, le sacrifice d'Aroro permit d'atténuer drastiquement le bilan humain et les dégâts générés par la catastrophe. Quand le ressac se mit à refluer, et que l'humanité commença à panser ses plaies, de nombreux survivants louèrent le sacrifice de la Mage Yzmir, lui accordant une pensée émue, une prière, un hommage. Son exploit se diffusa à travers la population comme une traînée de poudre, colporté de bouche à oreille, de taverne en lieu de recueillement.

Le Tsunami avait laissé dans son sillage une cruelle dévastation. Le Basileus avait péri dans le déluge, comme une grande partie de l'appareil gouvernemental et une part substantielle de la population urbaine. Mais au lieu de céder au désespoir, l'humanité prouva sa résilience en célébrant la joie d'avoir survécu au désastre. Peut-être était-ce pour exorciser ce terrible sinistre, ou pour rendre hommage à ceux qui avaient disparu ce jour-là... mais Aroro devint, à titre posthume, l'incarnation de cette endurance, de cette volonté des survivants de clamer au monde qu'ils étaient plus forts que la détresse et le chagrin.

La nouvelle Basilissa, Ndidi Dewitt, après son élection précipitée, fit en sorte qu'une statue soit érigée en l'honneur d'Aroro, dressée au-dessus des eaux avec une main tendue, comme pour empêcher les vagues de venir de nouveau frapper la capitale. Un phare fut construit sur la petite île qui lui avait servi de dernier retranchement, comme pour remplacer ce souvenir funeste par une lueur tournée vers l'avenir, vers la sécurité retrouvée.

C'est probablement cette ferveur qui planta les graines de sa renaissance en tant qu'Oneiros. Le souvenir de ce jour sombre perdura durant de nombreuses décennies, et les histoires qu'on se mit à raconter continuèrent encore de se transmettre à travers les âges... C'est au pied du phare qu'elle s'éveilla de nouveau à la conscience, rappelée d'entre les morts par la force de la souvenance, comme une icône, comme une héroïne révérée. Elle se tourna vers la jeune femme qui sans le vouloir l'avait invoquée, afin qu'elle lui offre la volonté de résister à toutes les épreuves que la vie lui avait envoyées.

Prenant place au sein du collège des Oneiroï, elle rumina cependant de sombres pensées, qu'elle finit par partager avec sa Faction. Ce Tsunami ne lui semblait pas avoir été un événement inopiné ni un phénomène naturel, mais possiblement une attaque coordonnée depuis l'extérieur. Cette fois, les Magisters Yzmir ne firent pas la sourde oreille, et accueillirent cette nouvelle avec gravité. Il était en effet possible que cette vague de destruction ait été orchestrée, créée délibérément pour éradiquer cette poche de civilisation.

L'annonce de la création des Corps expéditionnaires fut le coup de collier qu'elle attendait avec impatience, une initiative qui allait leur permettre d'enquêter plus avant sur la source du Tsunami : son origine, ses commanditaires... Ils ne pouvaient rester les bras croisés face à cet ennemi sans visage. Ils ne pouvaient demeurer oisifs, à la merci d'une autre tentative d'une telle magnitude...

Même si elle nourrissait la crainte de ce qu'ils trouveraient au sein de la Terra Incognita, Aroro était résolue à faire la lumière sur l'événement qui lui avait coûté la vie, ainsi qu'à tant d'autres. C'était une vérité qui se devait d'éclater, pour que l'humanité puisse espérer faire face à la menace.