L'orage grondait encore lorsque Kuraokami a pris son envol, émergeant du tronc brisé du Nilam. L'ouragan de Tumulte faisait alors rage. Mais quand il a pris position haut dans le ciel, son hurlement à lui seul a eu pour effet de chasser les nuages massés au-dessus du Storhvit. Depuis, la grisaille a cédé la place à un bleu permanent, pour le meilleur et pour le pire. Il était nécessaire, rien que pour honorer notre alliance avec les Oneiroï, de mettre fin à son enfermement. Une victoire, à n'en pas douter. Mais son absence a eu des conséquences fâcheuses sur le Storhvit. Les températures ont augmenté, et la neige, les glaciers et les calottes se sont mis à fondre à une vitesse irréelle. Si cela a été un soulagement pour les Corps expéditionnaires, nous avons dû œuvrer rapidement pour sauvegarder le Peuple de l'Hiver, et prendre des mesures drastiques pour ne pas voir cet écosystème singulier péricliter davantage. Il fallait se rendre à l'évidence, le climat du Storhvit était tout ce qu'il y avait de plus artificiel.

Remplacer Kuraokami. C'était une priorité indéniable. Il y avait de nombreux candidats possibles parmi les Oneiroï qui pouvaient offrir un patronage adapté, aussi bien au Peuple de l'Hiver qu'aux Belisenki : la Reine des Neiges, le Baron Kelvin, Dong Da Shen... D'autres ont été écartés, comme la Demoiselle des Neiges ou le Yéti, qui avaient au contraire besoin du froid pour exister, sans pouvoir le générer par eux-mêmes. Mais tous ces Oneiroï, à l'instar du Père Noël, avaient une vision bien trop humano-centrée de cette charge. C'est Jack Frost, par sa nature immanente, qui incarnait le mieux l'hiver nécessaire à la survie de ce biome. Bien sûr, de nombreuses voix s'élevèrent contre lui en raison de ses facéties régulières. Mais il n'était pas question ici de gouvernance humaine, ni d'administration, mais de la présence d'une entité capable de garantir la pérennité du froid.

Bien entendu, l'Astérion n'a pas tardé à revendiquer le Storhvit en tant que territoire autonome d'Asgartha. Ou devrais-je dire Caer Nilam. On parle en effet déjà de nommer un Gouverneur pour faire de cette région une nouvelle Province. Il aura la dure charge d'administrer les contingents qui devront rester ici pour stabiliser, renforcer et pérenniser cette Oasis, notamment en s'assurant de l'incarnation permanente de Jack Frost en ce lieu. Mais il aura fort à faire, d'autant que la pression politique et le poids de l'opinion publique seront à leur paroxysme dans les mois et les années à venir.

Après de nombreuses délibérations — et même si des émissaires Muna ont insisté pour que ce domaine devienne une réserve naturelle, comme la Katkera —, j'ai décidé d'allouer la gouvernance temporaire du Storhvit à l’Ordis, secondé par les Yzmir. Les Yzmir, car ce sont eux qui fournissent les précieux cocons qui nous prémunissent contre l'hostilité des Belisenki. Mais dans les conditions climatiques difficiles de Caer Nilam, la supervision de l'Ordis ne sera pas de trop : des règles strictes doivent y être mises en application, pour que l'enclave puisse tenir sur la durée. J'espère que les autres Factions accepteront sans rechigner mon arbitrage.

Qu'importent ces considérations éminemment politiques, le ciel est, à mon grand soulagement, de nouveau dégagé pour la poursuite de notre entreprise. D'autant que nos éclaireurs, stationnés sur l'Ouroboros, ont semble-t-il identifié un site prometteur...